ATELIER LECTURES N°99 BOUALEM SANSAL

 

 

 

Longue et passionnée discussion autour du roman 2084 : nous étions 17 ce lundi 18 janvier 2016.

 

 

 

2084, La fin du monde de Boualem SANSAL

 

 

 

"J'en ai fait des cauchemars ! Pas une lueur d'espoir, pas une étincelle d'amour, que de la destruction!"

 

Ce cri du coeur dit parfaitement une forme de réussite de ce roman dont on oublie parfois le sous-titre: La fin du monde. Reste que nos réactions ont été diverses, du comble de l'ennui à moi, j'ai bien aimé... avec un point d'accord : le courage de l'auteur, qui dénonce l'oppression mais reste, quoique constamment menacé, en Algérie.

 

2084 nous a davantage paru un pamphlet qu'un roman. Le lecteur n'entre pas vraiment en empathie avec les deux personnages qui conduisent la narration, Ati et Koa. Nous sommes sur la terre sacrée de l'Abistan sur laquelle règne Abi , délégué sur terre de Yölah le tout puissant . Ati était un vétéran, il avait survécu à la tuberculose et revenait du terrifiant sanatorium de Sîn, et Koa portait un nom illustre et sortait de la sans pareille EPD, l'Ecole de la Parole divine (p133). Ces deux personnages haïssent le Système et ceux qui par leurs prêches meutriers ont fourni des millions de jeunes martyrs aux trois dernières Grandes Guerres saintes. Ils sont des grains de sable qui menacent le Système. C'est clair pour tout lecteur, SANSAL dénonce une réalité actuelle, le totalitarisme et la folie de l'extrêmisme religieux.

 

Outre Soljenitsyne, nous évoquons des romanciers proches. KATEB Yacine le Berbère (1929-1989) , qui déjà a dénoncé en son temps l'escroquerie des lieux saints de la Mecque ; Rachid MIMOUNI (1945-1995) né près d'Alger, chassé, et souffrant l'exil à Tanger après avoir dénoncé dans La malédiction (1993) l'intolérance et la barbarie qui frappaient Alger ; Rachid BOUDJEDRA né en 1941, ancien du FLN et condamné à mort par le FIS qu'il avait dénoncé dans FIS de la haine (1992) ; également le Franco-Tunisien Hédi KADDOUR, qui vient de partager avec SANSAL le Grd Prix du Roman de l'Ac. Frçse, pour son roman Les Prépondérants. Dénonciations répétées ici quatre fois, et qui méritent toutes notre respect.

 

Les régimes "modèles" que nous devinons derrière l'Abistan et son Système , il peut y avoir l'URSS ou la Russie, la Corée du Nord, et plus explicitement encore le Chili de Pinochet car aucun des opposants n'échappera à la mort, ils seront conduits par centaines dans les stades et par milliers dans les camps les plus sinistres (p231).

 

Tous ces poètes, gens de théâtre ou romanciers vivent le pluralisme linguistique, sont traducteurs, militants populaires pour la culture. Il y a donc dans le livre une réflexion sur la langue : La religion se conçoit-elle sans une langue sacrée? Qui de la religion et de la langue vient en premier? (p112). Existe dans l'Abistan une langue sacrée l'Abilang, maniée par ceux de l'Appareil dans la ville Administrative, mais ceux du ghetto de Qodsabad – la capitale – la grande masse n'y entendait que pouic (p111). Le multilinguisme est bien une menace directe pour une didacture. SANSAL parodie tout au long du récit un sacré bien reconnaissable : la récitation du Coran – on scande des versets du livre d'Abi - , la Kaba devient la Kiïba, les prisonnières portent un burniqab et la prière est guidée par les mockbas ... Cette langue peut aussi devenir poétique quand il fait découvrir la mer à Ati : La mer commençait à l'horizon, on aurait dit que c'était dans le ciel qu'elle prenait sa source et que de là elle descendait vers la terre (219). Et devenir douloureusement savoureuse quand il décrit p.ex. le ghetto , qui avait un charme certain alors même qu'il était dans un état épouvantable, pas une bâtisse ne tenait debout par elle-même, des forêts de béquilles et d'attelles assemblées à la diable les tenaient en équilibre (109).

 

Une lecture trouvée souvent difficile, les noms déguisés abondent, les errances, les conspirations se succèdent, mais un livre fort, engagé, refusé pour le Goncourt et que d'autres Jurys ont justement récompensé . Un avertissement : Dormez tranquilles, bonnes gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle. En épigraphe un constat et un jugement que nous partageons : La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité.

 

 

 

Nous avons également bien aimé:

 

Un superbe inédit de Julien GRACQ, écrit en 1953 avant Un balcon en forêt , et qui est un écho à 2084, l'attente par une cité paisible et suradministrée de l'invasion des barbares : Les Terres du couchant.

 

De J.K. STEFANSSON dont nous avons beaucoup aimé en 2012 (CR n°59) Entre ciel et terre , l'histoire de trois générations islandaises , sur trois époques et donc l'histoire de l'Islande, joie, érotisme et souffrance dans le froid : D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds...

 

Enfin un très bon polar grec, un tueur justicier, le percepteur national, de P. MARKARIS: Le Justicier d'Athènes.

 

 

 

Nos prochains rendez-vous:

 

Lundi 15 février Boussole ; lundi 15 mars, un genre la nouvelle, au choix ; lundi 11 avril Elena FERRANTE , en Folio L'Amie prodigieuse , ou son dernier : Le Nouveau nom (cf Monde des Livres 15 janvier).

 

DH