ATELIER N° 98  :  ALICE  ZENITER

 

Nous étions 16 ce 14/XII/15 pour parler des romans d'une jeune auteure qui nous était dèjà un peu familière

après son passage à la Grande Librairie. Elle a encore assez peu publié, nous avions lu l'essentiel de son oeuvre

avec ces trois titres: le plus récent Juste avant l'oubli, son premier Jusque dans nos bras, et celui qui a fait sa

notoriété et que beaucoup avaient lu dès 2013 : Sombre dimanche .

 

Alice ZENITER

Il y a comme une familiarité aisée avec cette jeune femme, directe et attachante lorsqu'elle est interviewée, aussi

peu maniérée que dans sa façon de manier l'autofiction. Ainsi dans Jusque dans nos bras, la narratrice s'appelle

Alice, et évoque ce curieux patronyme de Zéniter, à l'intonation alsacienne, mais qui lui vient bien de son papa

Kabyle, marié à une normande . On pense d'autant plus à L'Etrangère de Valérie TORANIAN, qu'Alice raconte

son enfance, l'école, les poupées barbie avec les copines, et la complicité avec  Mad: ils sont inséparables même

au lycée, car Mad c'est Amadou, d'origine guinéenne, un frère pour elle... mais qui ne pourra être délivré des

tracasseries administratives de renouvellement du permis de séjour que grâce à un mariage blanc avec sa

copine. Le roman est là, touchant peut-être davantage la lectrice que le lecteur, agaçant parfois par ses choix

d'écriture. Mais grande qualité: c'est drôle !

 

Sombre dimanche ne l'est pas drôle, pas plus que la Hongrie, même postcommuniste. Mais le roman est plein

d'humour, de situations caricaturales et symboliques: une maison misérable quoique ancestrale, celle des

Màndy, sur un pauvre jardin triangulaire encerclé par les voies du chemin de fer quittant la gare de Budapest,

plein chaque matin des détritus lancés des trains. La gare , on y travaille, car le travail absorbe la tristesse, de

petits jobs qui attirent les désœuvrés à mauvaise mine :  Pàl, veuf d'Ildiko écrasée par un train, y tient une

buvette. Toutes les épaves, les naufragés des gares au milieu de la nuit passaient par son comptoir, prenaient un

verre, parlaient un peu. Le cortège des veufs, des perdus, des insomniaques, avec des nez si gros de chair qu'on

aurait pu y trouer des narines supplémentaires, aux pas trébuchants, à l'odeur vieillie. (p 141) .  Du talent on le voit.

Images dignes de celles tirées du roman de W.G.SEBALD : Austerlitz . Des réserves ont été exprimées, mais un

réel talent à créer des atmosphères à décourager la curiosité des touristes de l'Ouest , des personnages privés

de l'envie même de partir vers le Brésil , le mutisme général, le suicide comme unique solution, comme Sara,

la mère de Pàl, qui s'étouffe d'un poireau dans la gorge (p 246) ....

Un beau roman, avec une pointe d'autobiographie.  ZENITER , qui a enseigné à Budapest, choisit ses derniers

mots adressés on peut le penser à ce Lawrence  qui clôt les remerciements, un écho à un personnage du roman :

Tout ce que je regrette, c'est de t'avoir aimé autant...

 

Une solution au trop d'amour? L'oubli. Donc, un couple qui s'est aimé un temps, et qui se défait à l'occasion d'un

séjour universitaire sur une île des Nouvelles Hébrides, Juste avant l'oubli , autre preuve du talent de ZENITER.

Dans ce lieu perdu au nord de l'Ecosse, un congrès savant se réunit pour célébrer Galwin Donnel, alcoolique et

célébrissime auteur de dix romans policiers, retiré sur cette île dont il est presque l'unique habitant. On est dans

le sérieux des publications universitaires: chaque chapitre s'ouvre par une citation référencée, en italique, et ne

manquent pas les notes en bas de page des publications savantes et internationales.  D'ailleurs c'est si précis que

nous avons interrogé Wikipédia. En vain. Lieux fascinants et personnages attachants sont de fiction. Effet de

réel, fiction parfaitement réussie.

Il y a donc l'histoire d'un couple qui se défait, et surtout une parodie de ces réunions savantes,  la fascination

des lecteurs, les adorations fétichistes,  ces tablées réunissant des sommités  comme ce criminologue de Berlin

que son ventre tenait éloigné de la table... L'ex-thésarde qu'a été ZENITER a-t-elle des comptes à régler avec un

certain milieu universitaire? Fait-elle parfois un peu pédant, comme on l'a dit ? Reste un roman réussi , souvent

drôle , qui multiplie allusions et clins d'oeil : attachant remède, on l'espère,  à son trop d'amour....

 

Histoire et fiction romanesque

Bien souvent nos choix de livres nous ont confrontés à un arrière plan très historique, et les recadrages ont été

bienvenus . André et Françoise ont accepté de préparer sur des thèmes d'Histoire qu'ils choisiront une réunion

tous les deux mois, lieu et dates à venir . Histoire, ou écriture et fiction romanesques? On évoque le très beau

 Rouge Brésil  de Jean-Christophe RUFIN : liberté de l'écriture qui s'appuie sur une connaissance historique

parfaite et ne s'autorise que les marges. Ce qui est le cas des deux romans que nous venons de lire avec plaisir :

La Saison de l'ombre de Léonora MIANO,  même thème que celui choisi par Yambo OUOLOGUEM, celui des

débuts de la traite des noirs en Afrique et les razzias inter-tribales. Autre documentation historique sur quoi

s'appuie une écriture libre et drôle: Animarex , de J.F.KERVEAN (2015), la vie des tout jeunes seigneurs oisifs à

la cour de Louis XIV, et ses amours  avec la mazarinette Marie Mancini.

 

Prochains Rendez-vous:

Lundi 18 janvier 15H30 autour de 2084 de Boualem SANSAL ; Lundi 15 février : Boussoles  de Mathias

 ENARD ; Lundi 14 mars autour d'un genre : la Nouvelle, comme celles du Hongrois KRASZNAHORKAI,

 publiées chez Ed. Vagabonde, Sous le coup de la grâce et autres recueils de nos nouvelles préférées.                                                                                     

 

                                                 ***                                                                                               DH