ATELIER LECTURES N°94 : DUROY et Siegfried LENZ


Nous étions une douzaine ce 22 juin 2015 à retrouver notre salle à Lagor et échanger sur deux romans en écho, ceux de DUROY et de LENZ, ainsi que sur trois autres auteurs allemands. Certains de nous avaient encore présent à l'esprit l'Atelier 67, de 2013, consacré à la littérature allemande, où nous avions échangé sur 10 titres (CR de 3 pages!... que l'on trouve sur le site.)


Lionel DUROY: Échappé


Accord général des lecteurs pour reconnaître les grandes qualités d'écrivain de Lionel DUROY, étrillé ici-même après Le Chagrin et autres romans de règlements de comptes familiaux que nous avions lus (CR 73). Il a été dit à propos d'Échappéque l'on y trouvait des qualités féminines... un livre féminin...une écriture au côté féminin... (Le rédacteur de ce CR a besoin d'explications sur ces notions parfaitement obscures pour lui... Merci par avance ... ).

Vive discussion en revanche sur ce point: faut-il lire en premier La Leçon d'allemand de LENZ, ou Échappé, puisque DUROY part à la quête des lieux, réels ou fictifs, des personnages, des atmosphères créés par LENZ, le Schleswig -Holstein ou le peintre Nolde pendant la seconde guerre mondiale ? Pas de réponse définitive...

Il y a certes les belles descriptions de ces paysages, l'évocation très réussie de la maison louée par le narrateur, avec fenêtre de la cuisine ouvrant sur le jardin, une maison conçue par les anciens propriétaires, un couple d'archéologues qui se sont suicidés ... mais c'est pour lui l'occasion de poser les problèmes de la création, car DUROY met en scène romanciers, photographes et peintres. Et surtout poser la question de la culpabilité, dans ce pays où les fils osaient ou non demander des comptes à leur père sur leur passé.

Une page nous semble particulièrement explicite . Nolde a été interdit d'exposer sa "peinture dégénérée" par les nazis, et il a fait des démarches pour solliciter des dignitaires nazis, Goebels ou von Schirach, afin que soit levée cette interdiction. Comme un mendiant. "... moi, je ne jetterai pas la pierre à ce mendiant-là"(p140).

Ce von Schirach, c'est Baldur von Schirach, chef des Jeunesses hitlériennes, gauleiter de Vienne et maîtres des questions artistiques, rencontré en 2013 à la lecture de Crimes, texte écrit par son petit-fils, Ferdinand, très lu en Allemagne, un juriste qui s'intéresse à l'indulgence de la Justice allemande d'après-guerre.

Ce que dit aussi découvrir DUROY, c'est que la personne réelle qui a servi de modèle à un personnage romanesque, Nolde en l'occurence, est plus intéressante que lui, plus touchante par sa fragilité: "Comment peut-il se résigner à travailler clandestinement ses petites aquarelles "invisibles" après qu'on lui a confisqué toutes ses toiles, autant dire toute sa vie... ça ne tient pas debout, personne ne peut croire à ce personnage, et c'est alors que m'apparaît la grandeur d'Emil Nolde, son humanité..."(p140).

Rien pour le romancier ne peut surpasser la création artistique, et Échappé est construit en abyme, une succession de quêtes, comme un palimpseste que l'on déchiffre au long des pages : s'échapper dans la lecture ou l'écriture , et l'on sait que DUROY comme il le répète dans ses interview, ne vit que par ce qu'il écrit. Libre à nous de faire d'autres choix, ce que lui a dit dans une émission une autre très jeune romancière...


Siegfried LENZ La Leçon d'allemand (1968)


C'est avec ce roman que LENZ a acquis sa renommée et compte parmi les plus grands écrivains allemands. C'est une réflexion sur le devoir, sur l'obéissance. Sujet éminemment politique. Son héros est un adolescent, Siggi Jepsen, élève d'une maison de correction dans une île à l'embouchure de l'Elbe. Il a remis feuille blanche à la fin de la leçon d'allemand, sans traiter le sujet de rédaction : "Les joies du devoir". Un sujet sur lequel il a pourtant beaucoup à dire, car son père est policier, et il a dû signifier à son meilleur ami, un peintre, une interdiction de peindre, puisque jugé "peintre dégénéré" par les nazis. D'où le sentiment de culpabilité du fils qui a, lui, pris le parti du peintre, mais cherche encore à comprendre les raisons qui ont fait agir si docilement son père. Derrière la fable, c'est évidement Emil NOLDE, résidant dans une île du même lieu, victime de la même interdiction à partir de 1941. Et qu'en est-il pour LENZ dont le père était douanier à la frontière danoise?

Un texte touffu au début, mais certainement un beau et grand roman.


Et les autres oeuvres allemandes lues? Il y a l'autobiographie du fils de Thomas Mann, Klauss MANN, d'autant plus émouvante que l'on sait que l'auteur s'est suicidé. Il y a un petit recueil de 14 nouvelles étranges, très habilement écrites, imperceptibles ébranlements de la logique : L'Oiseau roc , de Marie-Louise KATSCHNITZ. Et à propos de l'Alsace, A la guerre comme à la guerre de Tomi UNGERER. Enfin, d'un romancier cité dans Le Monde pour Tout sur Sally, mais ici avec Le Vieux roi en son exil , Arno GEIGER, un récit poignant sur la maladie d'Alzheimer, le malade éperdu ne se sentant nulle part en son lieu...


Grands plaisirs enfin avec des titres déjà cités, de Jean-Luc SEIGLE: En vieillissant les hommes pleurent et un excellent petit roman chinois, pseudo-policier parodiant la formule de Mao Rien n'échappe au regard des masses, de Chi LI : Trouée dans les nuages chez Actes Sud ...


Prochains RV à la rentrée, peut-être avec James SALTER, en attendant de se voir au Festival et au hasard des vacances...

* JM & DH