ATELIER N° 107 :  Antonio TABUCCHI

 

 

 

Nous étions une quinzaine ce lundi 7/XI/16 pour élargir notre connaissance de TABUCCHI souvent limitée à deux titres, dont le fameux  Pereira prétend ,  dont nous avions parlé ici même il y a ... dix ans , Atelier n°12 ! Occasion aussi de regarder la BD .... – roman graphique –  qui a enthousiasmé plusieurs d'entre nous.

 

 

 

TABUCCHI      (1943 - 2012)

 

A nous tous nous avions lu  11 titres de cet universitaire , traducteur , romancier , essayiste , toujours associé au nom du poète portugais Pessoa. Et ce n'est là qu'une partie de sa bibliographie.

 

Disons d'entrée que certaines publications sont inintéressantes , généralement des recueils de textes courts . Ainsi on peut se dispenser d'ouvrir Rêves de rêves (1994) ,  petite dizaine de textes  où l'on imagine ce à quoi tel ou tel  personnage célèbre a pu rêver.  Prose insignifiante tout aussi ennuyeuse que ces Petits malentendus sans importance .

 

Parfois les nouvelles nous semblent excellentes comme dans Requiem (1994) : une ferme de l'Alentejo, un rêveur qui se retrouve à Lisbonne , 9 personnes rencontrées autour de La Tentation de Saint Antoine de Jérôme Bosch , un peintre copiste qui reproduit en grand format des détails du tableau pour un riche collectionneur texan ... et comme un parfum de remords dans chaque scène. Autre réussite en 9 cercles d'un mandala avec Pour Isabel . Une personne dans chaque cercle raconte Isabel , une amie , sa nourrice , une chanteuse , puis comme nous le voyons dans d'autres romans on glisse dans l'onirique , le fantastique , un dialogue avec une chauve-souris ; nous n'avons pas l'avis de décès d'Isabel , serait-elle vivante ? Un bien agréable récit.  Autre lecture agréable avec les 9 nouvelles de Le Temps vieillit vite : Brecht est surveillé par la Stasi , un agent secret reste passionné par la femme qu'il a aimée et qui a disparu , un autre enquêteur lit l'avenir dans les nuages tandis qu'une moribonde se raconte les générations passées . C'est ce procédé du jeu avec le mystère que nous trouvons chaque fois chez TABUCCHI : dans Le Fil de l'horizon cela démarre comme un polar  mais l'absence de dénouement laisse le lecteur sur une énigme à résoudre.

 

Véritable très bon polar avec La Tête perdue de Damascemo Montreiro  (1997) où l'on rencontre des personnages et lieux familiers avec Pereira... : un jeune homme travaille dans un journal de faits divers à Porto – superbes évocations de la ville . Le corps d'un homme , jeune , a été découvert sans tête sur un terrain vague . Le journaliste enquête , découvre le trafic de drogue d'un policier , l'affaire sera étouffée malgré les efforts d'un avocat obèse qui se heurte à la censure : roman engagé , sur fond de lutte antifasciste , que l'on aime beaucoup .

 

Peu parlé de son premier roman Piazza d'Italia  (1973 -75) , "micro-épopée" où il évoque l'histoire de l'Italie du XIXème à travers les diverses générations d'une famille de paysans toscans,  prolétaires miséreux dont le surnom familial sera les Garibaldi , anarchistes puis communistes . Le lecteur suit les guerres coloniales en Etiopie et en Lybie , puis l'exil vers les Etats-Unis : échapper aux gros propriétaires ( les Guépard ) , fuir la faim , espérer la justice sociale ... tout TABUCCHI est déjà en place .

 

Restent trois grands titres . Le Prix Médicis  de Nocturne indien d'abord : déception sur un procédé banal , le personnage part aux Indes à la recherche d'un ami disparu , qui n'est autre à la fin que lui-même ... ou enthousiasme renouvelé à chaque lecture sur  l'évocation parfaite , enchanteresse , des beautés et des mystères de L'Inde éternelle ?

 

Le plus célèbre Pereira prétend (1994) , jadis mis en scène magnifiquement à Avignon par Didier Bezace en 1997 . Nous avions été unanimes , sans réserve , il y a dix ans , pour dire les qualités de ce roman que nous découvrions pour la plupart. Le procédé d’écriture indiqué dès le titre , qui fait penser au rapport d’un interrogatoire , est d’une lancinante , précautionneuse , magistrale efficacité : nous sommes sur la piste d’un roman policier à l’envers , qui ménage la surprise heureuse finale. Tout au long du roman l’auteur met en jeu la culture comme alibi obscurantiste, le ne-pas-vouloir-savoir, la parodie de la non information avec ce pseudo journaliste , relativement sympathique obèse  qui va aux nouvelles auprès d'un garçon de café prudent mais lucide. Tous les détails d’une prise en main fasciste sont là, mais non commentés et comme non vus par le personnage. Ambigu lui aussi : les textes qu’il traduit pour sa page culturelle sont certes anciens , mais en rapport avec cette actualité qu’il semble vouloir ne pas voir. Les Italiens il y a peu ont utilisé " Pereira sostienne pour dénoncer la main-mise fascisante de Berlusconi sur tous les médias . Car les "moi hégémonique" exposés par le plus conscient des personnages (p127) , un jeune médecin , le Dr Cardoso , disent que ce que nous avons en tête peut changer , nous pouvons nous ouvrir, voir et comprendre enfin. Un anti-héros, englué dans sa solitude, auquel le romancier donne l’astuce et le courage de berner la censure et de sauver sa vie et son âme. Beau et grand livre.

 

Enfin une découverte , Tristan meurt : Tristan est moribond , la gangrène lui dévore une jambe. Il est fasciné par la sagesse des éléphants qui , l'heure venue , se font accompagner par un congénère , marchent , font leur cercle où se coucher et meurent (p13...) . Lui a fait venir un écrivain modeste et lui raconte sa vie qu'il devra mettre en forme , car seule l'écriture restera même si l'on s'interroge : Pourquoi écris-tu ? (p58) ou si l'on ironise sur clichés et métaphores (p24) ! La situation se prête à une constante variété de ton , le tutoiement pour "l'écrivain" , des passages de récit rédigé , le JE de Tristan , qui invente la lettre d'une femme aimée jadis , jamais écrite – jamais reçue : autre JE . Médicaments et morphine brouillent le souvenir , le dramatique semble mis à plat , dédramatisé , et c'est encore plus émouvant ! "L'histoire d'une vie ça commence où ?"(p15) . Pour le héros , à l'époque jeune militaire mussolinien , c'est sur une place de Grèce en 1940 : un officier allemand vient de tuer un jeune garçon à bicyclette et la vieille femme qui le vouait aux gémonies , et lui , Tristan tire et abat l'officier en oubliant qu'ils sont alliés . En un instant sur cette place il a choisi le camp de la révolte hellénique et de l'antifascisme : est-il un héros , ou un traitre à son pays?

 

Le roman est ainsi fait, de fragments , de réflexions littéraires , philosophiques , triviales , et c'est son charme . Certainement le roman de TABUCCHI que nous préférons : tous ses thèmes y sont, la justice sociale , le rêve , le temps , les équivoques ...

 

 

 

Nous avons aussi évoqué :

 

 

 

D'un auteur inconnu pour moi , avec une bibli déjà importante : Olivier FREBOURG , Souviens-toi de Lisbonne    « Lisbonne. Je m'y coulerai, j'y reviendrai. Ces allers et retours seront des caresses, des oscillations : les matins du Portugal, le ciel bleu au-dessus des maisons, l'air du Tage et l'incertitude déchirante qui gouverne toute vie portuaire. Longtemps, nous avions gardé ce mot de passe sur nous et entre nous : Lisbonne..."

 

Peut-être des découvertes à venir.

 

 

 

Prochains rendez-vous :

 

 

 

Atelier 108 : lundi 5 décembre 15h30 : 3 interventions d'Histoire de 45' environ , Françoise M et les débuts de l'Ecole Laïque , Anne-Marie sur le livre de Sylvain VENAYRE Une guerre au loin, Annam 1883 (2016) et la façon de raconter l'Histoire , en particulier avec l'article de Pierre Loti paru alors.

 

André G. sur l'ambiguïté des pionniers laïques et la "civilisation" exportée aux Colonies.

 

(Ils rectifieront les approximations de mes formulations )

 

Kaky conduira les échanges et aimerait recevoir de chaque intervenant un texte écrit d'une dizaine de lignes qui sera l'ossature du CR

 

 

 

Atelier 109 , lundi 30 janvier 2017 :

 

des écrivains des balkans , ex Yougoslavie : de Drago JANKAR Katarina , le paon et le Jésuite "572 pages redonnant au roman historique se noblesse et sa pertinence"  (Le Matricule des Anges)

 

ou du même , plus bref , de 2016 :  Six mois dans la vie de Cyril

 

 

 

On peut trouver d'autres auteurs slaves , croates ...

 

comme Ivo ANDRIC : Le pont sur la Drina   ou  Au temps d'Anika  : “Au temps d'Anika” est un récit comme on n'en lit pas souvent. C'est l'histoire d'un envoûtement. La vie d'un village morne est bouleversée par deux apparitions inattendues, par deux événements brutaux. Le glissement d'un pope dans la folie, et plusieurs décennies plus tôt, la folie des hommes pour une femme, Anika. Ce récit sobre est une perle précieuse de la littérature mondiale." (!!!)

 

 

 

Et encore , trouver des idées pour la suite...

 

DH

 

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