ATELIER LECTURES N°105 : HAWTHORNE  MELVILLE

 

Nous nous étions posé la question : qui sont ces auteurs desquels un seul titre vient à l'esprit, La Lettre écarlate pour HAWTHORNE et pour MELVILLE , Moby Dick …. D'où cette plongée dans la littérature américaine du milieu du XIXème siècle . Un monde peu connu de nous, celui du puritanisme de la Nouvelle Angleterre , de ces Protestants nourris de culture biblique.

 

La Nouvelle Angleterre

Plusieurs préfaces savantes nous ont aidés. Comme celle-ci, d'André Maurois en 1952 qui présente Valjoie . «  Les hommes et les femmes du Massachusetts, ceux de Boston, de Salem, de Plymouth, descendaient des Puritains calvinistes qui , fuyant l'Europe, avaient fondé dans cette baie , au XVIIème siècle, un état théocratique tout imprégné de disciplines hébraïques et genevoises. … Aux esprits libres , le puritanisme établi, persécuteur après avoir été persécuté, était devenu aussi odieux qu'à leurs ancêtres l'Eglise d'Angleterre … chez des Puritains , accoutumés à épier tout le jour leurs propres péchés, l'évasion ne pouvait être qu'intérieure … Le transcendentalisme (et non pas l'Essentialisme comme je l'ai dit) fut le mouvement mystique qui entraîna les citoyens du Massachusetts à la découverte de leur âme … renaissance quotidienne de Dieu dans l'âme individuelle... ils se sentaient assez forts pour les entreprises les plus difficiles. Il leur fallait réformer le monde... »

La Lettre écarlate   1851

L'amant, un jeune prêtre, la jeune paroissienne séduite, Pearl l'enfant né du péché et le vieux mari de retour après des années d'absence qui veut se venger. Banal... Tout cela baignant dans le décor puritain dont nous venons de parler.  Pour les non-croyants ça peut agacer au long des pages. Car le suspens dure, dure : qui parlera ? Qui révèlera à la communauté le nom du père ? L'enfant, petit lutin attiré par le prêtre, saura-t-il qu'il est son père ? Et la vengeance ? Pourtant on lit, jusqu'au bout, avec plaisir souvent , malgré des   pages inutiles ( p.ex. tout le ch. X , Le Médecin et son patient ).

C'est que Hester Prynne, « l'infortunée coupable » , est un superbe personnage , dont nos lectrices ont parlé avec chaleur : elle ne se sent pas coupable de cette faute partagée... elle est réhabilitée dans la communauté par sa pratique artistique de la broderie qui la fait vivre, l'enfant et elle... elle se sent forte, elle s'est libérée, elle va vers les autres, les aide....

L'action du roman est située entre 1642 et 1649. Et ça se lit parfois comme un polar... Car l'auteur laisse le lecteur deviner , qui est le père ? Est-ce le mari qui revient dans ce savant , Roger, pratiquant une médecine indienne ? L'auteur absout volontiers les amants qu'il réunit dans une même tombe, leurs cendres mêlées : Hester Prynne et Arthur Dimmesdale resteront unis dans leur amour , « elle le prit dans ses bras … ce que nous avons fait avait un caractère sacré » (p 263 , 264). Elle gardera jusque sur sa tombe le symbole mystique, le A d'adultère , malgré la brêve tentation de fuir tous deux (p 274 et …) : « Son sexe, sa jeunesse et toute l'étendue de sa beauté effectuèrent le retour d'un passé irrévocablement perdu et se rassemblèrent avec ses espoirs de jeune vierge et un bonheur ignoré jusque là dans le cercle magique de l'heure présente... » Mais dans ce monde le Malin n'est jamais loin , c'est l'Homme noir qui rôde dans la forêt sombre (Ch 16) . Et le Merveilleux, le magique : lorsque les quatre protagonistes sont réunis une nuit sur le Pilori une lueur météorite rouge dessine un A dans le ciel (ch XII) ! L'auteur bienveillant donne à l'enfant « d'origine démoniaque une opulente, luxuriante beauté » (p 140) , et Pearl hérite de Roger « des propriétés d'une étendue considérable » (Conclusion) . Quant à Hester devenue confidente et consolatrice des femmes du lieu , elle annonçait « des temps plus heureux... une vérité nouvelle serait révélée afin de fonder l'entière relation entre l'homme et la femme sur des bases plus saines, garantissant un bonheur mutuel » (p 352, avant-dernière page du roman) ….

Bref, une réputation méritée de grand Classique.

MELVILLE (1819-1891) Moby Dick   1851 

Avec ce roman nous entrons dans l'univers biblique familier à la culture protestante : Achab , maudit pour idolâtrie, Elie le prophète qui annonce au narrateur le naufrage du Pequod, Ismaël prophète ironique en quête de foyer, Rachel la mère exemplaire ( le capitaine de la Rachel pardonne à la baleine et cherche ses enfants perdus en mer) , enfin le Léviathan qui fascine Achab. Achab monomaniaque , obsédé par le cachalot sur lequel il a cristallisé son angoisse métaphysique … : « la berceuse démente des tempêtes le balançait dans sa camisole de force » (p 218) , Achab et son magnétisme qui subjugue l'équipage .

Il y a tout dans cet énorme roman connu souvent par ses versions Jeunesse, simplifiées : des informations didactiques à la Jules Verne, une allégorie de la destinée humaine, l'omniprésence encore au XIXème de la chasse à la baleine . Pour Ismaël le blanc de baleine est symbole de vie (p 154) , il s'est fait tatouer un squelette de cachalot sur le bras (p 461) , et quand sur une île est planté comme un totem un squelette énorme de cachalot une vigne y grimpe : c'est « la Mort treillissant la Vie » (p 459).

Nous échappent quantité d'allusions à cette jeune Amérique en formation , déjà multiraciale comme l'équipage  avec Ismaël et Queequeg , tournée vers l'Est et l'océan , fascinée par les histoires de mer . Melville avec ses récits précédents, publiés en revue, s'était fait une réputation de témoin fiable du monde des baleiniers sur lesquels il a navigué de 19 à 24 ans ; il connaît parfaitement les faits divers qui fascinent l'imaginaire de ses contemporains : il s'inspire du naufrage de l'Essex en 1820, envoyé au fond après l'attaque d'un cachalot géant, puis sur les trois chaloupes les scènes de cannibalisme, il recueillera le témoignage écrit de l'un des survivants ; ou encore une révolte en 1817 sur un vaisseau négrier qui lui inspirera Benito Cereno

Le paradoxe est que Moby Dick , touffu et métaphysique, a attendu longtemps son public : relatif échec à la parution , peu d'exemplaires vendus (3000) pendant les quarante années qui suivent sa parution et la disparition de Melville , à-demi oublié . En France la première traduction est celle de Giono de 1941, en Italie il faut attendre les années 1990 pour une première publication ! Depuis les années 50 la notoriété de Melville n'a fait que croître, d'abord le film de Huston de 1956, puis réalisé par Peter Ustinov un Billy Buds en 1964 d'après une version théâtrale , plus un opéra de Britten .

Là encore , même difficile à lire page à page,  un grand Classique que Moby Dick.

 

Nous avons également lu et bien aimé :

         l'étonnant Pour saluer Melville de Giono et la découverte de Blanche Meyer

         les courts récits (une soixantaine de pages) de nos deux auteurs : Le Voile noir du pasteur , La Fille de Rappaccini ou Wakefield ; Moi et ma cheminée ou le génial Bartleby le scribe ; sans compter leurs autres romans comme Valjoie ou Benito Cereno ...

        Leslie JAMISON Examens d'empathie , en particulier le chapître Théorie de la grande unification de la douleur féminine

        Jules et Edmond GONCOURT Renée Mauperin , satire savoureuse de notre bourgeoisie du XIX ème

Prochain rendez-vous :

10 octobre avec Céline MINARD Le Grand jeu  et autres titres ; 7 novembre , thème à fixer...

                                                     DH