ATELIER LECTURES N° 103 Jean ECHENOZ Envoyée spéciale

 

 

Nous étions, ce lundi 9 mai 2016 , 16+2 – deux voyageuses ayant communiqué leurs impressions – , venus pour échanger sur les romans d'Echenoz dont nous avions déjà évoqué avec plaisir Courir et plus récemment 14 . Agréable surprise, sur la quinzaine de romans dont est crédité l'auteur, nous en connaissions 10 !

 

 

Envoyée spéciale

 

Tout d'abord un accord général : Echenoz est un écrivain, que nous admirons, dont nous savourons le talent, l'écriture distanciée, l'humour... On se rappelle Courir et Zatopek dont le nom est un coup de starter, huilé au doux prénom d'Emile : pas étonnant qu'il gagne toujours !

 

Puis une discussion amusante nous oppose : c'est farfelu... cette fois il exagère... il se moque de ses lecteurs / ... / ce faux roman d'espionnage est jouissif ! Un émerveillement... ! Un style unique, somptueux... J'en passe. La critique, elle, n'a pas mégoté : une vraie réussite... complexe et génial... une bombe d'humour... une merveilleuse parodie du roman d'espionnage...

 

Pour une parodie d'espionnage, c'en est bien une. Nous sommes Bd Mortier à Paris, à « la Piscine » le siège de la DGSE. Un général mis au rencard dans son bureau prépare un « coup », la déstabilisation de la Corée du Nord ; il faut agir avec des agents néophytes , inconnus, qui seront mis au frais dans la Creuse, trou du creux de la France comme chacun sait, avant d'être expédiés à Pyongyang. Quant à nos agents secrets professionnels ils ont été formés aux Barbouzes , Branquignols et autres Tontons flingueurs . Pas trop grave, il y a peu à faire, sinon attendre, au bureau, au café, dans la forêt creusoise ou perchée au sommet d'une éolienne, creusoise aussi, ou dans les chambres d'hôtel pyongyangaises. Il faut donc meubler le récit, multiplier les digressions sans rapport avec l'espionnage, comme se couper les ongles sur une page, chasser une mouche avec deux pages.

 

Ce que fait Echenoz avec brio, qui mène à son ultime page le lecteur le plus rétif.

 

Et tout de même, limitons-nous aux deux protagonistes qui traversent tout le roman : Louis-Charles Coste et son épouse Constance . Louis a produit très jeune un TUBE, Excessif , des centaines de disques d'or, universellement connu, traduit dans toutes les langues, enregistré alors très vite par la gamine qu'était Constance, nom de scène : So Thalasso ; Louis s'appelle depuis Lou Tausk. L'argent des royalties continue de pleuvoir, rien à faire, d'autant que ni Lou ni son parolier mutique n'ont d'inspiration.

 

D'où les digressions.

 

L'inspiration Echenoz l'a lui. Un nom de personnage un peu original ? Facile ! Prenez n'importe quel objet, changez une lettre, vous avez l'agent Objat ! Pour les pyongyongais dont les noms ont toujours trois syllabes, un jeu d'enfant , ok ? Un gang, vous connaissez... donc vous avez Gang Un-ok , que chaque lecteur prononce aussitôt à la coréenne !

 

Le style ? Il sait faire : (p49) en 3 lignes ½ il vous en colle 7, oui , sept mots commençant par con... Ou vous admirez, ou vous dites que c'en est une ! Passons sur la multiplication des descriptions avortées puisqu'inutiles, répète l'auteur, ce qui est bien vrai Balzac, la fiche d'agence immobilière suffit pour tout savoir (p... p... etc).

 

Comme il y a de tout dans ces 313 pages – le double du tarif habituel -- on peut choisir. Obligatoirement dans une digression, c'est l'essentiel du roman.

 

Deux pleines pages d'anthologie, si, si, sur LA conversation téléphonique de deux copines (p 245-247) : il est encore très bien, très attentionné, très bien habillé, très discret. Et côté fric? Plein... (l'autre copine) Et toi, justement, avec lui... Un peu toujours pareil … Attends j'ai un double appel, je te reprends dans deux secondes... Excuse moi, Lucile, c'était lui, l'autre. Enfin le nouveau.... Bien vu, non ? (Me permets ce genre d'apostrophes … qu'il use, lui... ) .

 

Autre vécu. Avec les larmes de Constance : dès l'instant où quelque chose de liquide , solide ou gazeux s'échappe de l'organisme – soit une dizaine de modes d'évacuation possibles – qu'on s'abstiendra de détailler – c'est chaque fois, du sublime au trivial un plaisir spécifique. C'est pas bon ? Alors du beaucoup mieux : notre immanquable torture, à l'ouverture d'une boîte de médicaments, nous tombons toujours sur le côté de la notice pliée autour des comprimés, donc refermer la boîte, la retourner, réouvir la boîte... et la fois d'après, même topo ! …

 

Enfin, comme dit la critique : génial , et ça c'est vrai. Pour limiter les tentatives de fuite, en Corée, le leader suprême, Kim Il-sung (Voyez photo p250 : Massif et bedonnant, grosse tête poupine ovale homothétique à un gros buste ovale – œuf de canne sur œuf d'autruche sans aucun cou pour faire le joint... ) , Kim Il-sung donc a inventé pour réfréner les envies d'exil les rubans de la justice ! Tout au long de la zone démilitarisée avec Séoul il a fait tendre des bandes de fort papier hautes de 25 m et enduites généreusement de glu ! C'est drôle de voir les fuyards collés sur cette bande mourir peu à peu de faim : très dissuasif !

 

C'est vrai, c'est drôle cette réutilisation des rouleaux tue-mouches de notre enfance, on rit , ça fait du bien de retrouver le grandguignol, le branquignol, enfin !

 

Mais pour qui pense qu'Echenoz abuse sur bon nombre de pages, acheter son livre uniquement avec un faux billet de 18E50 !

 

Certains de nous préfèrent Je m'en vais , le précédent, autre caricature, du marché de l'Art cette fois, des galéristes, des collectionneurs , des créations des artistes, œuvres monochromes, toujours minimalistes, et fragiles, les artistes, qu'il faut materner. Le personnage central, Ferrer, directeur de galerie est allé pendant l'hiver arctique récupérer une cargaison échouée dans les glaces de la banquise d'oeuvres datant de la culture paléobalénière et de sculptures inuits (p84), qu'il se fait voler au retour, qu'il retrouve, fait fortune à la revente, luxueux appartement, Hélène avec qui il pensait vivre le quitte le 31 décembre ... mais tout ira bien : on sait la liste inépuisable de ses conquêtes féminines, de Victoire à Bérangère, ou Sonia et l'agression sexuelle sur Ferrer. Tous les personnages sont bien typés, les lieux vivent, on sait tout des ennuis avec les chiens de traîneau, (préférez les skidoos), c'est drôle ; là encore on voyage, Paris, l'été boréal à Port-Radium et les bras de la fille Aputiarjuk, le sud-ouest et Biarritz : trois lieux comme souvent, des changement d'identité, des liens de famille annoncés tardivement dans le récit. C'est du Echenoz, du bon.

 

Quant à 14 de 2012, c'est Anthyme, la guerre vue à hauteur de godillots et de ceinturon « l'homme dans sa nudité et sa misère », cent pages plus efficaces que 1400. Les détails sur l'équipement, semelles en carton des troupes en 14 , sont vrais, Echenoz est toujours précisément documenté, un jeu chez lui que nous acceptons, la marque, l'immatriculation, le numéro et l'armement factice de l'avion de reconnaissance de Charles, son prétentieux de frère... Petit grand livre que l'on referme avec respect.

 

Evoqués Cherokee et Charlie Parker, Ravel roman-biogaphie souriante et attachante comme celle de Zatopek, Un an (90pages) qui est une préparation au voyage à Bordeaux de Je m'en vais et les nouvelles de Caprices de la Reine , ou Les Grandes Blondes autre recherche du modèle féminin pour un documentaire sur les blondes au cinéma . Et Au piano de 2002, que nous avons oublié, que nous allons relire...

 

Que des plaisirs de lecture avec ce Jean Echenoz !

 

Prochain rendez-vous :

 

lundi 6 juin, J.Carol OATES, Fille noire, fille blanche et autres titres en Poche.

 

Prochain Ciné-Buffet jeudi 26 mai chez Annie&André

 


 

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En 2006 (!) nous avions lu Ravel et voici....

 

« Ravel » de Jean ECHENOZ, Ed° de Minuit, 2005.

 

(Chacun de nous reçoit en cadeau une carte/pub avec photo Echenoz, citation, extrait de « Ravel ». /offert par Kaky/)

 

C’est le livre du jour et il ne fait pas l’unanimité (comme l’avait fait « L’Africain »).

 

Accord sur « magnifiquement écrit ». Mais a-t-on le droit de parler de personnes/personnages de façon aussi peu élogieuse ? Que peuvent dire les « ayants droit » à cet étalage des petitesses du compositeur? Certes c’est un roman, et bizarrement tout de même une célébration, car Ravel, l’individu, restera dans notre souvenir avec ses manies, comme si Echenoz offrait à ses lecteurs et au Boléro un auteur « en chair » … Et en plus c’est drôle, comme le prouvent les extraits lus ou portés au dos de la carte/pub !

 

Occasion de réaffirmer cette « liberté du lecteur » qu’Alberto Manguel rappelle volontiers.

 

DH

 

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