Atelier Lectures 3 Décembre 2015 : « Rue des voleurs » Mathias Enard

 

 

 

Le groupe s’est retrouvé nombreux autour de la lecture du roman de Mathias Enard « Rue des voleurs » écrit en 2012 et qui a suscité de vives réactions.

La résonnance avec l’actualité est tout de suite mise en avant : deux jeunes marocains à Tanger, Lakhdar et Bassam, en situation de rupture avec leur famille sont confrontés à la tentation de l’islamisme puis du terrorisme.

Mais alors que Bassam cède à l’endoctrinement, Lakhdar, le narrateur, réussit à y échapper et tente de comprendre pourquoi, en déroulant l’enchaînement des faits.

 

Le point de vue qui prévaut dans tout le récit est celui de Lakhdar. Il représente cette jeunesse au chômage, qui rêve de partir vers l’Europe avec de faux papiers, qui souffre du poids de la tradition familiale marquée par l’islam et donc d’une grande frustration sexuelle.

Quand il commence à vivre dans la rue, il est approché par le cheik Nourredine qui lui offre protection en le faisant libraire du Groupe de la Diffusion de la Pensée Coranique. En échange il doit aller à la mosquée, ce qui le surprend. Car ce qu’il préfère ce sont les romans policiers et boire une bière à la terrasse des cafés. Et surtout trouver des filles ! C’est là qu’il rencontre Judit, une étudiante espagnole qui l’ouvre à la culture et au savoir. Il lui apprendra l’Arabe classique.

Le désir de la retrouver l’aidera à échapper à la honte, à l’humiliation, à l’enchaînement de la violence…

Parallèlement, Bassam son ami, est instrumentalisé par le Cheik Nourrédine et sombre dans le terrorisme.

 

S’agit-il des deux faces d’un même personnage ? Ou des deux possibilités qui s’offrent aux jeunes du monde arabe actuel ? Le narrateur insiste sur le fait que ces trajectoires doivent beaucoup au hasard : « la pluie peut changer un destin » p.55

Ou bien la confrontation viendrait-elle d’un monde sans espoir ? (« il n’y a que l’espoir et le désespoir qui changent le monde »)

 

Les questions sont nombreuses entre les lectrices qui voient dans le narrateur un jeune homme plutôt sympathique qui se débat dans des conditions de vie difficiles et d’autres qui considèrent ce personnage de looser un peu surfait, balloté par les circonstances, toujours sur le fil de la folie.

 

En contre-point la naïveté des deux jeunes étudiantes éclaire le point de vue occidental sur les « printemps arabes ». L’auteur glisse quelques remarques judicieuses : « l’unité du monde arabe n’existait qu’en Europe »p.280 !!!

 

Que penser du personnage de Nourrédine qui est d’une ambiguïté totale ? C’est un personnage inquiétant et manipulateur qui joue le rôle du rabatteur et tire les ficelles pour laisser les jeunes « qui ont un petit pois à la place du cerveau » faire le sale travail.

Mais il est aussi le riche médiateur de l’Arabie qui dîne avec les puissants.

Evidemment on ne peut s’empêcher de penser aux révolutions arabes reconquises par les partis islamistes.

 

 

 

 

 

 

 

La discussion s’est élargie ensuite à partir d’une émission télévisée qui la veille avait fait le point sur les origines de Daesh….Quelques échanges sur les conséquences du colonialisme, la création d’Israël, le rôle des Américains, l’opposition entre Chiites et Sunnites…la théorie du complot, l’esprit « sectaire » et la religion comme prétexte.

 

Enfin, certains se sont posé la question du sens de la fin du roman : Pourquoi Lakhdar finit-il par tuer Bassam son ami de jeunesse ?

Bien sûr le roman ne donne que les raisons de Lakhdar qui se sent appelé à le délivrer, lui, son ami, devenu l’ombre de lui-même et sans doute auteur de deux attentats et en train d’en projeter un autre. S’agit-il vraiment d’un « happy end » puisque le meurtrier purge sa peine dans une prison, entouré de livres, et en phase de rédemption ?

Ou bien s’agit-il d’une fin complaisante qui évite à l’auteur de prendre parti, comme au narrateur de choisir son camp ???

 

Ajoutons pourtant que ce récit prend la forme d’un polar et que son auteur fait référence à Izzo, Montalban et James Ellroy auteurs connus pour décrire des « quartiers »…

Et surtout une mention spéciale pour le style flamboyant du roman : relisez les premières et les dernières pages qui se font écho.

« Les hommes sont des chiens au regard vide… »

 

 

 

Prochaine séance : le 4 janvier 2016 !!

            Au programme Jeanne Bénameur : « Otages intimes » ( son dernier)

Relire : « Les demeurées » et « Laver les ombres »

 

                                   Le 1er Février : Kethevane Davrichewy : « Quatre murs »

                                                           Autres titres ?

 

 

Lectures conseillées : « le cas Eduard Einstein » de Laurent Seksik

 

                                     « les derniers jours de Stefan Sweig » du même auteur…